1914 - DESTIN EPHEMERE DE DEUX POILUS

AUGUSTE VICTOR BORDERIEUX     GEORGES NOURTIER



Pourquoi cette page ?

Aujourd'hui, le  13 août 2010,  j'ai 51 ans.  Je m'appelle Patrick MEUNIER, et j'ai voulu transmettre un témoignage ordinaire, et quelques documents. Un témoignage comme beaucoup de familles pourraient en transmettre.

Très simplement et sans mise en scène.

Ma grand mère Marguerite NOURTIER, était née à St Germain en Laye le 14 mai 1891.
Quand je rentrais de l'école, puis du collège, et du lycée, je passais dans le petit deux pièces qu'elle habitait, non loin de notre maison, dans notre jardin, toujours à St Germain.

Depuis longtemps veuve de son second mari, mon grand-père épousé en 1924 et décédé en 1961, elle me préparait à goûter. Crèpes,ou beignets , qu'elle préparait sur les plaques de fonte du poèle à bois et charbon, qui servaient aussi à chauffer ses fers à repasser également en fonte. Retraitée, elle avait fait carrière de repasseuse professionnelle. Tout St Germain lui apportait encore, à plus de 80 ans, son beau linge à repasser.

Mais plus encore que ces préparations délicieuses, j'appréciais dans le même temps ses récits. Elle aimait chanter, elle aimait parler, d'elle, et de tous ceux qui avaient partager sa vie.

J'avoue que ces récits étaient parfois orientés par mes questions, aussi ai-je entendu toujours avec autant de plaisir et parfois d'émotion, des histoires cent fois racontées.

Parmi ces personnages qui avaient partagé sa vie, revenaient souvent son frère, Georges NOURTIER  et son premier mari Auguste Victor BORDERIEUX. Les larmes lui venaient aux yeux, quand elle évoquait leur rappel sous les drapeaux en août 1914, et leur fin tragique, le 11 décembre 1914, côte à côte non loin du Chemin des Dames.

Marguerite est décédée subitement, dans son lit,  à l'âge de 88 ans, en 1979, alors qu'elle se sentait en pleine forme. C'est toujours ce qu'elle avait souhaité, un départ rapide et sans déclin. J'avais 20 ans.

La vie ne m'avait guère laissé le temps de rechercher les circonstances de la disparition de Georges et Victor. Décès de mes parents, études, mariage, création d'une entreprise, jeunes enfants sont dévoreurs de temps.

Mais je n'oubliais pas. Puis vint Internet, qui malgré les quelques dangers qu'il génére, est une source intarissable de documentation historique souvent de grande qualité, pourvu que le lecteur prenne un recul suffisant. Vinrent aussi les questions des enfants, devenus ados, sensibles à l'attention retrouvée des médias pour la première guerre mondiale.

Je décidai donc de regrouper quelques documents encore en possession de mon oncle, frère jumeau de mon père décédé, tous deux fils de Marguerite nés en 1927 de son second mariage. J'engageai aussi quelques recherches documentaires.




Une famille éclatée

La mobilisation générale du 1er Août 1914 arrache à Marguerite à la fois son frère et son mari. Les deux hommes s'entendait bien et le bonheur familial est brusquement bouleversé.

Georges Nourtier avait effectué son service militaire en 1910. Georges, né le 25 mai 1889 à Saint Germain en Laye, était un musicien émérite et faisait l'objet l'admiration de sa jeune soeur.

Marguerite avait épousé Auguste Victor  Borderieux, ébeniste à Marly le Roi, le 6 juin 1914. Il habitait Marly le Roi.

Victor est né le 18 mai 1890 à Perroy, dans la Nièvre.


Détail des services et mutations - Extrait du livret militaire de Georges Nourtier - La mauvaise qualité du document nous incite à le réécrire:

Inscrit sous le numéro 133 de la liste du canton de St Germain en Laye
Incorporé le 3 octobre 1910 au 41 ème régiment d'infanterieet immatriculé sous le numéro 1814
Arrivé au Corps et soldat de deuxième classe ledit jour.
Soldat musicien le 24 septembre 1911
Certificat de bonne conduite "accordé"
Envoyé dans la disponibilité le 29 septembre 1912
Passé dans la réserve de l'armée active le 1er octobre 1913

Rappelé à l'activité par suite de mobilisation générale...illisible...du 1er août 1914

Arrivé au 23ème régiment d'infanterie coloniale le 3 août 1914





La guerre
Début août 1914, survient la mobilisation.

Georges et Victor sont affectés au 23 ème Régimeent d'Infanterie coloniale - RIC

J'ai pu retrouver des indications relativement précises quant aux activités de ce régiment. d'août à novembre 1914

HISTORIQUE du 23e RÉGIMENT INFANTERIE COLONIALE
Anonyme, Imp BERGER-LEVRAULT

Parti de Paris, le 7 août 1914, après la mobilisation générale, le régiment, sous le commandement du colonel NÉPLE, marche à l'ennemi. Son effectif de départ comprend 67 officiers et 3126 hommes de troupe. De Revigny où le régiment fut transporté par voie ferrée, il se porte dans la direction de Neufchâteau (Belgique), par étapes de 25 à 30 kilomètres. La frontière belge est franchie à Flagny, à 3H35, le 21 août 1914. Le premier contact avec des éléments de cavalerie ennemie (1er régiment de uhlans) est pris dans le village de Gérouville que l'ennemi évacue de même que les villages de Jamoigne-les-Buttes et Rampongel. D'après les renseignements verbaux recueillis, des détachements ennemis couvrent des transports de troupe dans la région de Neufchâteau, vers le nord-ouest. Le régiment ayant pour mission de couvrir le CAC, continue sa marche offensive vers Neufchâteau, précédé d'un peloton du 6e dragons.

Le régiment est arrêté aux abords du village, d'abord par une fusillade peu nourrie, laissant croire à une faible occupation, puis par des feux très meurtriers, arrêtant net toutes les tentatives d'enlèvement de la position. Il devient évident que l'ennemi occupe depuis longtemps cette position, qu'il a repéré les distances de tir et pris toutes ses dispositions pour nous recevoir. Tous les cheminements utilisables sont pris sous les feux meurtriers de leurs mitrailleuses. Néanmoins, et malgré les lourdes pertes subies à chacune des tentatives d'assaut, la progression se fait jusque sur la première ligne ennemie, mais les éléments qui y arrivent, la plupart sans officiers, sont tellement affaiblis que l'occupation en est très difficile. Les unités disloquées et mélangées luttent péniblement pour la conservation du terrain conquis.

Le colonel NEPLE est blessé mortellement pendant l'action.

Du 23 août au 5 septembre, le régiment, sous le commandement du lieutenant-colonel MAILLARD, suit le repli de l'armée, il se trouve occuper, le 6 au matin, en formation de combat, la position comprise entre le chemin de Thieblemont à Écriennes et le canal de Vitry à Saint-Dizier.
Le régiment reçoit là le choc de l'ennemi; sous l'energique impulsion du lieutenant-colonel MAILLARD, pas un pouce de terrain n'est cédé. Bien au contraire, le régiment progresse lentement, soumis à un feu violent d'artillerie.
Des mitrailleuses ennemies en position sur une péniche du canal prennent d'enfilade nos tirailleurs et causent de grandes pertes.
Le 1er bataillon, avec lequel marche le lieutenant-colonel et le drapeau déployé, enlève d'assaut les fermes de Tournay, occupées très fortement.
Du 7 au 11, le régiment très décimé devient réserve d'armée. Il reprend, le 12 au matin, le contact avec l'ennemi en retraite. La poursuite continue jusqu'au 14, au nord-ouest de Ville-sur-Tourbe. Le 25, le 23e reçoit la mission d'enlever le bois de Ville, fortement tenu par l'ennemi, de même que toutes les crêtes au nord. Au prix de très fortes pertes, la vallée de la Tourbe, battue très efficacement par l'artillerie adverse, est traversée et le régiment aborde les lisières du bois. La progression, pied à pied, continue dans le bois, la lutte est acharnée, mais le régiment refoule complètement l'ennemi et s'installe aux lisières nord du bois, essayant même de progresser au delà des lisières. Malgré les violents efforts de l'adversaire, toutes les tentatives de celui-ci pour nous chasser de la position sont repoussées.
Le 16 septembre, le régiment très éprouvé reçoit l'ordre de progresser; chacune des tentatives se trouve arrêtée net par le tir très précis et excessivement efficace de l'artillerie adverse. A la nuit, le régiment peut progresser légèrement vers le nord-ouest.
Le 17 et le 18, la situation n'est pas modifiée, plusieurs tentatives sont faites, mais toutes sont arrêtées par un tir toujours très précis de l'artillerie ennemie.
Le 18 au soir, ordre est donné de s'établir sur la position, un bataillon occupant le bois de Ville, les deux autres aux lisières nord du bois d'Hauzy.
Jusqu'au 28 septembre, la position est organisée défensivement. Les 28 et 29, l'ennemi tente, après de violents bombardements, de nous chasser de nos positions; toutes ses tentatives sont repoussées.
Le 23 octobre, après quelques tentatives infructueuses, le village de Melzicourt est enlevé à la baïonnette et organisé.

Je possède une lettre co-signée de Georges et Victor le 21 novembre 1914, adressée à un cousin

Page 1/3 Page 2/3 Page 3/3





La  mort

Le 11 décembre 1914, le 1er bataillon, mis à la disposition du 91e d'infanterie, reçoit l'ordre d'enlever les retranchements allemands au nord de la Harazée en Argonne. L'attaque est menée par les seules troupes coloniales (23e, 1er bataillon, 7e, 1er bataillon).
Les 1re et 2e compagnies franchissent les parapets à 7h15, et progressent à travers les abatis, mais, tout à coup, elles sont arrêtées net par un feu très meurtrier de mousqueterie et de mitrailleuses. A deux reprises, sous l'énergique impulsion des capitaines TRIOL et BORDANT, ces unités parviennent jusqu'aux défenses ennemies intactes et sont rejetées par un feu à bout portant. Les pertes sont effrayantes; les compagnies décimées, sans cadres, tous les officiers étant tombés, s'accrochent néanmoins au terrain. A 7H35, la 3e compagnie reçoit pour mission de soutenir les deux compagnies engagées. Les hommes sont admirables d'entrain ; après avoir assisté à l'anéantissement des deux compagnies précédentes, ils s'élancent entrainés par le capitaine DUPONT, le premier debout sur les parapets. En 40 mètres, la compagnie, prise sous un feu d'enfilade de mitrailleuses, est détruite presque entièrement. L'effort nécessaire ne peut se produire, les éléments des trois compagnies sont contraints, devant les défenses intactes, de se replier.


Le carnet militaire de Georges Nourtier se termine ainsi :

Disparu au Bois de la Gruerie ; La mention sur le livret "porté disparu d'août à octobre 1915" est étrange et traduit de probables incertitudes sur la composition des unités après les combats.

Déclaré décédé le 11 décembre 1914 par jugement du Tribunal d'Instance de Versailles le 26 juin 1920





La mémoire

Des jugements intervenus en 1920 confirment  la disparition et le décès des deux hommes. "Morts pour la France"

JUGEMENT                        JUGEMENT
Le 10 juin 1921, ils se voient attribuer la médaille militaire à titre posthume. Nous ne disposons pas du document relatif à Auguste Vctor BORDERIEUX.

Auguste Victor BORDERIEUX et Georges NOURTIER ont leur noms gravés sur le monument aux morts situé dans le parc du chateau de St Germain en Laye. Le premier figure aussi sur celui de Marly le Roi, au cimetière ancien et à l'église St Vigor.

MEDAILLE ET CITATION

Le Bois de La Gruerie et plusieurs sites proches furent le lieu d'abominables combats au corps à corps . Ce site, aux confins de la Marne et de la Meuse, se  trouve proche de lieux dont la célébrité lui est bien supérieure:  un lieu de convergence de l'histoire de France : Varennes, et Valmy .

Carte du site

Il ne pouvait y avoir que deux noms en V dans l'histoire régionale devenue nationale : le troisième dès 1914, c'est Vienne le Chateau. Sans doute plus discret, mais tellement plus tragique.  Bien entendu, il y en eu encore un quatrième, dès 1916....

Vienne le Chateau,  proche du bois de la Gruerie, proche de la Harazée, porte aujourdui l'ossuaire du Bois de la Gruerie - nécropole nationale- face à un cimetière que nous avons visité.


VIENNE LE CHATEAU VIENNE LE CHATEAU VIENNE LE CHATEAU VIENNE LE CHATEAU

Nous ne pouvons qu'inviter les jeunes et leurs parents d'aujourd'hui, à visiter cette région, pour y lire une leçon d'histoire à plusieurs dimensions, et pour s'immerger dans le respect et l'humilité, dans une nature préservée des grand flux touristiques.

Contact :  Pmeunier23@aol.com